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Que c’est une remarque digne de considération et que l’on doit faire dans tous les ouvrages de M. Poussin, qu’il y donne tellement ce caractère général de ce qu’il veut figurer en particulier, que quand il entreprend de traiter un sujet triste et douloureux, il n’est pas jusqu’aux choses insensibles qui ne semblent ressentir de la douleur et de la tristesse ; et s’il représente de la fureur et de la colère, on diroit que le ciel menace la terre et qu’il y a dans l’air une émotion semblable à celle qu’il imprime sur le visage de ses figures.

Ces aveugles, que d’autres peintres auroient cru devoir rendre difformes et contrefaits pour mieux faire paroître leur misère et leur mendicité, n’ont rien de laid ni de fâcheux à voir, et cependant ils ne laissent pas d’avoir des marques assez évidentes de leur pauvreté ; et c’est en quoi ce grand peintre a été merveilleux d’avoir toujours si bien disposé ses figures et fait un si beau choix de tout ce qui entre dans la composition de ses ouvrages, que l’on n’y voit rien qui ne soit d’une beauté singulière et dans des aspects très agréables.

L’action de ces aveugles n’est qu’une même action, parce qu’ils ont tous deux une même fin et cherchent une même chose qui est le recouvrement de la vue. Comme ils n’ont qu’une même pensée, les nerfs qui viennent du cerveau et qui servent au mouvement de la tête font qu’ils agissent tous deux d’une semblable manière ; car, les muscles faisant en l’un et en l’autre de pareilles extensions sont cause que leur front, leur nez et leurs joues s’allongent et se retirent d’une même sorte, de façon qu’on diroit d’abord qu’ils se ressemblent et que ces deux visages, quoique très différents, sont faits sur un même modèle.

Cette personne ayant fini son discours, il y en eut une autre qui dit que, comme la peinture a divers objets, elle a aussi diverses fins dans les choses qu’elle se propose de représenter. Qu’il y a des rencontres où son but principal est de récréer, d’autres où elle veut instruire et d’autres encore où elle prétend instruire et réjouir tout ensemble. Que dans ces différentes intentions, le peintre en a encore une toute particulière qui regarde son art et qui consiste à figurer, quelque sorte de sujet que ce soit, de telle manière qu’il n’y ait rien dans tout son ouvrage qui ne contribue à faire voir une grandeur