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relie agit davantage où les esprits se portent le plus, on voit que toute sa force se trouve dans la partie supérieure du corps pour considérer la charité de cette fille.

Dans le vieillard qui est couché derrière ces deux femmes et qui regarde en haut en étendant les bras, et dans le jeune homme qui lui montre le lieu où tombe la manne, le peintre a voulu figurer deux mouvements d’esprit très différents ; car le jeune homme rempli de joie, voyant tomber cette nourriture extraordinaire, la montre à ce vieillard sans penser d’où elle vient. Mais cet homme, plus sage et plus judicieux, au lieu de regarder cette manne, lève les yeux au ciel et adore la Providence divine qui la répand sur la terre.

Comme l’auteur de cette peinture est admirable dans la diversité des mouvements, et qu’il sait de quelle sorte il faut donner de la vie à ses figures, il a fait que toutes leurs diverses actions et leurs expressions différentes ont des causes particulières qui se rapportent à son principal sujet. C’est ce que M. le Brun fit fort bien remarquer dans ces jeunes garçons qui se poussent pour avoir la manne qui est à terre, car on voit par là l’extrême nécessité où ce peuple étoit réduit ; et parce qu’il n’y avoit personne qui ne la ressentît, le peintre a fait que ces jeunes gens ne se battent pas comme s’ils se vouloient du mal, mais seulement que l’un empêche l’autre d’avoir ce qu’ils voient tous deux leur être si nécessaire.

L’on reconnoît un effet de bonté dans cette femme vêtue de jaune, en ce qu’elle invite ce jeune homme qui tient une corbeille pleine de manne d’en porter à ce vieillard qui est derrière elle, croyant qu’il a besoin d’être secouru.

Par cette jeune fille qui regarde en haut et qui tend le devant de sa robe, il a exprimé la délicatesse et l’humeur dédaigneuse de ce sexe qui croit que toutes choses lui doivent arriver à souhait ; c’est pour cela qu’elle ne prend pas la peine de se baisser pour recueillir la manne, mais elle la reçoit du ciel comme s’il ne la répandoit que pour elle.

Pour varier toutes les actions de ces figures, il a représenté un homme qui goûte à la manne ; on voit à sa mine qu’il ne fait que commencer à y tâter et qu’il cherche quel goût elle a.

Cet homme et cette femme si attachés à en amasser sont