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arrêtés à un terme très-peu élevé. Les hommes y éprouvoient cependant déjà ce besoin d’idées ou de sensations nouvelles, premier mobile des progrès de l’esprit humain, qui produit également le goût des superfluités du luxe, aiguillon de l’industrie, cette curiosité, perçant d’un œil avide le voile, dont la nature a caché ses secrets. Mais il est arrivé presque par-tout que, pour échapper à ces besoins, les hommes ont cherché, ont adopté avec une sorte de fureur des moyens physiques de se procurer des sensations qui pussent se renouveler sans cesse : telle est l’habitude des liqueurs fermentées, des boissons chaudes, de l’opium, du tabac, du behtel. Il est peu de peuples chez qui l’on n’observe une de ces habitudes, d’où naît un plaisir qui remplit les journées entières, ou se répète à toutes les heures, qui empêche de sentir le poids du temps, satisfait au besoin d’être occupé ou réveillé, finit par l’émousser, et prolonge pour l’esprit humain la durée de son enfance et de son inactivité : et ces mêmes habitudes, qui ont été un obstacle aux progrès des nations ignorantes ou asservies, s’opposent encore, dans les pays éclairés, à ce que la vérité