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Pour l’histoire des individus, il suffit de recueillir les faits ; mais celle d’une masse d’hommes ne peut s’appuyer que sur des observations ; et pour les choisir, pour en saisir les traits essentiels, il faut déjà des lumières, et presque autant de philosophie que pour les bien employer.

D’ailleurs, ces observations ont ici pour objet des choses communes, qui frappent tous les yeux, que chacun peut, quand il veut, connoître par lui-même. Aussi, presque toutes celles qui ont été recueillies, sont dues à des voyageurs, ont été faites par des étrangers, parce que ces choses, si triviales dans le lieu où elles existent, deviennent pour eux un objet de curiosité. Or, malheureusement, ces voyageurs sont presque toujours des observateurs inexacts ; ils voyent les objets avec trop de rapidité, au travers des préjugés de leur pays, et souvent par les yeux des hommes de la contrée qu’ils parcourent. Ils consultent ceux avec qui le hasard les a liés, et c’est l’intérêt, l’esprit de parti, l’orgueil national ou l’humeur, qui dictent presque toujours la réponse.