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placés par une oppression souvent plus arbitraire, mais moins barbare ; et dans ces derniers temps, on n’a plus persécuté que de loin en loin, et en quelque sorte par habitude ou par complaisance. Par-tout, et sur tous les points, la pratique des gouvernemens avoit suivi, mais lentement et comme à regret, la marche de l’opinion, et même celle de la philosophie.

En effet, si, dans les sciences morales et politiques, il existe à chaque instant une grande distance entre le point où les philosophes ont porté les lumières, et le terme moyen où sont parvenus les hommes qui cultivent leur esprit, et dont la doctrine commune forme cette espèce de croyance généralement adoptée, qu’on nomme opinion ; ceux qui dirigent les affaires publiques, qui influent immédiatement sur le sort du peuple, quel que soit le genre de leur constitution, sont bien loin de s’élever au niveau de cette opinion ; ils la suivent, mais sans l’atteindre, bien loin de la devancer, et se trouvent constamment au-dessous d’elle, et de beaucoup d’années, et de beaucoup de vérités.