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La terreur des supplices arrêta bientôt cette imprudente franchise. L’Italie, la France, furent souillées du sang de ces martyrs de la liberté de penser. Toutes les sectes, tous les gouvernemens, tous les genres d’autorité, ne se montrèrent d’accord que contre la raison. Il fallut la couvrir d’un voile qui, la dérobant aux regards des tyrans, se laissât pénétrer par ceux de la philosophie.

On fut donc obligé de se renfermer dans la timide réserve de cette doctrine secrète, qui n’avoit jamais cessé d’avoir un grand nombre de sectateurs. Elle s’étoit propagée sur-tout parmi les chefs des gouvernemens, comme parmi ceux de l’église ; et, vers le temps de la réforme, les principes du machiavélisme religieux étoient devenus la seule croyance des princes, des ministres et des pontifes. Ces opinions avoient même corrompu la philosophie. Quelle morale en effet attendre d’un systême, dont un des principes est qu’il faut appuyer celle du peuple sur de fausses opinions ; que les hommes éclairés sont en droit de le tromper, pourvu qu’ils lui donnent des erreurs