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sur l’esclavage des Negres

peuple de France au-deſſous des Negres. Mais enfin, quand les payſans François ſeroient pendant trente jours par année auſſi malheureux que des Negres, s’enſuit-il que l’eſclavage des Negres ne ſoit pas inſupportable ? & ſi l’on a oſé imprimer dans quelques brochures, que le peuple, en France, eſt corvéable & taillable de ſa nature, en faut-il conclure que l’eſclavage des Negres eſt légitime en Amérique ? Une injuſtice ceſſe-t-elle de l’être, parce qu’il eſt prouvé qu’elle n’est pas la ſeule qui ſe commette ſur la terre ?

On a dit encore, le colon intéreſſé à conserver ses Negres les traitera bien, comme les Européens traitent bien leurs chevaux. À la vérité on mutile les chevaux mâles, on aſſujettit quelquefois les jumens à des précautions (qu’on prétend que quelques colons ont adoptées pour leurs Negreſſes). On condamne ces animaux à paſſer leur vie ou dans le travail, ou tristement attachés à un ratelier, on leur enfonce des pointes de fer dans les flancs, pour les exciter à aller plus vite, on leur déchire la bouche avec un barreau de fer pour les contenir, parce qu’on a découvert que cette partie étoit très-ſenſible ;