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Réflexions

doux, tendres ou généreux qui viendroient charmer ou embellir l’ame de ces infortunés, ou plutôt leur ame entiere ſeroit ſon ouvrage, & au lieu d’être riche du malheur de ſes eſclaves, il ſeroit heureux de leur bonheur.

J’ai rencontré quelquefois des maîtres Américains, accoutumés à vivre dans les habitations, & il m’a ſuffi de leur avoir entendu parler une ou deux fois des Negres, pour ſentir combien ceux-ci doivent être malheureux[1]. Le mépris avec lequel ils en

  1. Si vous les interrogez, ils vous diront que les Negres ſont une canaille abominable, qu’on les traite très-bien, que toutes les atrocités qu’on impute en Europe à leurs maîtres ſont autant de contes. Mais ne les interrogez pas, gardez-vous ſurtout de contredire leurs principes de tyrannie, faites-vous la violence de vous taire, de contraindre votre viſage, alors vous entendrez d’eux la vérité. Ils vous raconteront, ſans y penſer, ce qu’ils n’auroient osé vous répondre.
    Nous rapporterons ici deux traits, qui prouvent à la fois, combien les Européens ſont éloignés, en général, de regarder les Noirs comme leurs ſemblables, & que cependant on peut citer quelques exceptions honorables pour l’eſpece humaine. En 1761,