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Guſtave, Aldophe & les Naſſau, auſſi comment ſont-ils morts ?[1]

C’eſt l’abus des mots de liberté de propriété, come l’a encore très-bien obſervé notre auteur, & il tenait votre livre entre ſes mains avec complaiſance : c’eſt l’abus de ces mots qui a cauſé les maux les plus affreux. Céſar, le meilleur des humains, n’aurait pas été réduit à faire égorger un million d’homes pour perſuader aux Romains de lui obéir, s’ils n’avaient pas eu la bêtiſe de croire qu’ils étaient plus libres ſous leurs Conſuls. Si les bourgeois de Genéve n’avaient pas raiſonné ſi ſubtilement ſur la liberté politique, ils ſe ſeraient ſoumis au petit Conſeil, ou ils n’auraient pas traité les natifs come leurs ſujets, & il n’y eut pas eu deux homes de tués dans leur derniere guerre civile. Si les Manichéens, les Albigeois, les Huſſites, les Vandois, les Proteſtans, n’avaient pas eu l’opiniâtreté de vouloir conſerver la liberté de penſer, nous n’aurions pas été obligé de faire égorger plus de deux millions de ces hérétiques, pour la plus grande gloire

  1. V.la Note, à la fin.