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Monſieur, le peuple hait les financiers, qu’il appelle maltôtiers, & les marchands d’argent, qu’il appelle uſuriers : direz-vous que ces états ſont mal-honnêtes. Tous ces préjugés ont une ſource commune, ces différens États[1] n’ont été remplis long-tems que par des homes déshonorés : tous trois protégés, employés en ſecret par le Gouvernement étaient flétris par des loix : long-tems leurs opérations n’ont été qu’un tiſſu de manœuvres coupables. Mais ces préjugés fondés autrefois ſur la raiſon, & maintenant déſavoués par elle, ſe diſſiperont, & le peuple deviendra moins injuſte en devenant moins malheureux.

Parmi les cauſes qui entretiennent la haine du peuple contre les marchands de bled, il en eſt une à laquelle on n’a pas daigné faire attention, parce qu’elle eſt abſurde, mais

  1. Notre agriculteur qui ne connait pas les fineſſes de la langue, avait mis mêtier : en français, on dit le mêtier de laboureur, le métier de poëte, de philoſophe, le mêtier de la guerre : mais il ſerait de la plus grande impoliteſſe de parler du mêtier de fermier d’impôts, de banquier, d’agent de change, ce ſerait manquer au reſpect, que dans toute nation bien policée, on doit à l’or & au talent d’en amaſſer.