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si leur suprême exécuteur n’a pas un grand maître de la garde-robe.

Des hommes qui se souviennent des événemens de l’histoire, mais qui ne connoissent pas l’histoire, sont effrayés des tumultes, des injustices, de la corruption de quelques républiques anciennes. Mais qu’ils examinent ces républiques, ils y verront toujours un peuple souverain et des peuples sujets, ils y verront dès lors de grands moyens pour corrompre ce peuple et un grand intérêt de le séduire. Or, ni cet intérêt, ni ces moyens n’existent quand l’égalité est entière non seulement entre les citoyens, mais entre tous les habitans de l’empire. Que le peuple d’une ville règne sur un grand territoire, que celui d’une province domine par la force sur des provinces voisines, ou qu’enfin des nobles répandus dans un pays y soient les maîtres de ceux qui l’habitent, cet empire d’une multitude sur une autre est la plus odieuse des tyrannies, cette forme du corps politique est la plus dangereuse pour le peuple qui obéit comme pour le peuple qui commande ? Mais est-ce là ce que demandent les vrais amis de la liberté, ceux qui veulent que la raison et le droit soit les seuls maîtres des hommes ? Aux dépens de qui pourrions nous satisfaire à l’avidité de nos chefs. Quelles provinces conquises un général François dépouillera-t-il pour acheter nos suffrages ? Un ambitieux nous proposera-t-il comme aux Athéniens de lever des tributs sur les alliés pour élever des temples ou donner des fêtes, promettra-t-il à nos soldats comme aux citoyens de Rome le pillage des Espagnes ou de la Syrie ? Non sans doute, et c’est parce que nous ne pouvons être un peuple roi, que nous resterons un peuple libre.

Telles sont les raisons qu’on allégue en faveur d’un pouvoir héréditaire ; et l’on voit qu’aucune d’elles n’est applicable à la nation française dans l’époque actuelle. Quant à ces motifs si rebattus de l’unité de l’activité du pouvoir exécutif ; privilège exclusif de la monarchie, de la nécessite,