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comme essentiellement contraire aux droits des citoyens, et c’est à cette condition seule que l’on peut, sans crime et sans bassesse, se permettre de peser les dangers et les avantages du gouvernement monarchique. Les raisons qui peuvent engager des hommes à se créer un roi pour l’intérêt même de la liberté, existent-elles ou n’existent elles point parmi nous ? Telle est donc la question qu’il faut résoudre.

I. Les amis de la royauté nous disent : il faut un roi pour ne pas avoir un tyran : un pouvoir établi et borné par la loi est bien moins redoutable que la puissance usurpée d’un chef qui n’a d’autres limites que celles de son adresse et de son audace.

Mais cette puissance d’un usurpateur est-elle à craindre pour nous ? Non, sans doute. La division de l’empire en départemens suffiroit pour rendre impossible ces projets ambitieux ; et ce qui auroit été imprudent peut-être avant cette mesure si bien combinée, si utile, est aujourd’hui sans danger.

L’étendue de la France, plus favorable que contraire à l’établissement d’un gouvernement républicain, ne permet pas de craindre que l’idole de la capitale puisse jamais devenir le tyran de la nation.

La division des pouvoirs fondée non-seulement sur la loi, mais sur la différence réelle des fonctions publiques, est encore une autre barrière. L’armée, la flotte, l’administration des finances, celle de la justice, sont partagés entre des hommes dont l’éducation, les lumières, les habitudes, sont essentiellement différentes, il faudroit avoir detruit, corrompu ou dénaturé tous ces pouvoirs, avant de pouvoir aspirer à la tyrannie.

Enfin la liberté de la presse, l’usage presque universel de la lecture, la multitude de papiers publics, suffisent pour préserver de ce danger. Pour tout homme qui a lu avec attention l’histoire de l’usurpation de Cromwel, il est évident qu’une seule gazette eût suffi pour en arrêter le succès ; il est évident que si le peuple d’Angleterre eût su