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Vie de M. Turgot.

de l’argent ; et il ne faut que des lumières bien communes, pour voir que si le prêteur peut quelquefois, en exigeant des conditions trop dures, manquer à l’humanité, il ne peut blesser ni la justice, ni les lois, en usant du droit légitime de disposer à son gré de ce qui est à lui. Mais si la question était bien simple en elle-même, l’ouvrage de M. Turgot n’en est que plus propre à faire connaître son esprit et son caractère. Il ne croyait pas s’abaisser en combattant sérieusement les opinions les plus absurdes, lorsqu’il les regardait comme dangereuses. Il examine, dans son rapport au ministre, les préjugés de politique, de jurisprudence, de théologie, qui ont donné naissance aux lois sur ce qu’on appelle usure, en fait voir l’origine et les progrès, et au lieu de se contenter de les accabler sous le poids de principes fondés sur la justice et sur la vérité, il daigne encore montrer que, quand même on avilirait sa raison jusqu’à décider d’après la théologie une question de jurisprudence et de morale, les préjugés sur l’usure devraient encore être rejetés, parce qu’ils ne sont appuyés que sur une fausse interprétation des autorités auxquelles ils doivent leur origine et leur empire.

Il donne, dans ce même traité, une notion très-nette, et en même temps très-neuve, de l’intérêt légal, qui n’est et ne doit être qu’un prix moyen de l’intérêt, formé comme celui d’une denrée, d’après l’observation. Ainsi la loi ne doit l’employer que de la même manière, c’est-à-dire, pour fixer un prix lorsqu’il ne l’a pas été ou qu’il n’a pu l’être par des conventions particulières.