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Vie de M. Turgot.

peut observer le mieux la netteté de ses idées, la méthode dont il avait contracté l’habitude, la facilité et la profondeur de son esprit.

Le ministre, à qui cet avis fut adressé, loua M. Turgot, et fit des lois prohibitives. Malheureusement, dans les discussions politiques, on juge moins avec sa raison qu’avec son caractère et avec son âme. Tous les esprits pourraient voir la même vérité ; mais tous les caractères n’osent pas la mettre en pratique. Dès lors on cherche à ne pas croire ce qu’on n’a pas envie de faire ; et toute opinion qui exige qu’en l’adoptant on se dévoue à braver les préjugés et les cabales, et à préférer le bien public à sa fortune, ne peut être adoptée que par des hommes qui aient du courage et de la vertu.

M. Turgot eut encore une occasion de déployer son zèle pour la liberté du commerce, ou plutôt pour la justice qui prescrit de laisser à chacun le libre exercice de sa propriété légitime (car la liberté du commerce a un motif plus noble que celui de son utilité, quelque étendue qu’elle puisse être). On sait qu’en France le prêt d’argent remboursable à une époque fixée avec un intérêt quel qu’il soit, et tout prêt à un intérêt au-dessus de cinq pour cent, est traité par la loi comme une convention illégitime, et même comme un délit. Cependant, le commerce ne peut exister sans des prêts remboursables à temps, dont l’intérêt soit fixé librement par une convention. Cette liberté est nécessaire, parce que l’intérêt se règle naturellement sur l’étendue des profits de chaque commerce, sur les risques aux-