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Vie de M. turgot.

M. Turgot savait également que ces précautions fatales dans les temps de disette ont l’effet plus général, plus durable, et non moins funeste, d’empécher l’établissement d’un commerce de grains régulier, et par là de rendre la subsistance du peuple à jamais précaire.

Aussi ne songea-t-il, dans ces temps malheureux, qu’à donner à la liberté du commerce des subsistances toute l’étendue qu’il était en son pouvoir de lui rendre, évitant même de le décourager par des approvisionnements particuliers, n’employant la force publique que pour le défendre contre les préjugés du peuple ; et il eut la consolation de voir ce commerce, abandonné à lui-même, pourvoir à la subsistance publique, malgré les obstacles que la situation de la province apportait à ses opérations.

Mais la liberté n’était pas entière. L’usage de taxer le pain était établi dans les villes. M. Turgot vit que les boulangers, possesseurs d’un privilège exclusif, et sujets à la taxe, en profitaient pour porter le pain au delà de son prix naturel comparé à celui du blé : il suspendit l’usage de leur privilège, en leur laissant la liberté de vendre au prix qu’ils voudraient ; et il vit bientôt ce prix baisser, et les communautés des campagnes apporter à la ville, même de la distance de cinq lieues, un pain fait librement, et par conséquent à meilleur marché.

Cependant, si dans les temps de disette le gouvernement ne doit au peuple que la liberté et la sûreté du commerce, il doit des secours aux pauvres ; mais il faut que ces secours soient le prix du travail.