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Vie de M. turgot.

nos armées, et les principes de notre art militaire, rendent inapplicable aux nations modernes la maxime des anciens peuples, qui appelait tous les citoyens à la défense de la patrie. Mais si M. Turgot ne pouvait détruire le mal en lui-même, il voulut du moins arrêter les désordres particuliers à sa province. Dans un pays de montagnes, et où les habitations sont dispersées, le désir de se soustraire à la milice produisait d’autant plus de fuyards, que l’espérance d’échapper était mieux fondée. La loi qui déclarait les fuyards miliciens, enflammait le désir de les arrêter. Chaque communauté était intéressée à augmenter le nombre de ses membres soumis au tirage ; chaque famille regardait l’exemption réclamée par une autre comme une augmentation pour elle de ce risque si terrible dans l’opinion ; et l’on voyait au moment des tirages les communautés pouisuivre à main armée les fuyards répandus dans les bois, et se disputer avec violence les hommes que chacune prétendait lui appartenir. Les travaux étaient suspendus ; il s’élevait entre les familles, entre les paroisses, de ces haines que le défaut de distraction, et la présence continuelle de l’objet, rend irréconciliables. Quelquefois le sang coulait ; et l’on combattait avec courage, à qui serait exempt d’en avoir.

M. Turgot arrêta ce désordre, en obligeant les communautés de laisser à la puissance publique le soin de faire exécuter la loi, et en veillant à ce qu’elle fût exécutée avec cette justice impartiale, qui inspire la confiance et fait pardonner la rigueur. Il coupa la source du mal, en permettant qu’une contribution