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Vie de M. Turgot.


pouraient répondre de leurs délits, de leurs fautes ; au lieu que dans l’état actuel, presque toujours couverts de l’autorité suprême, les réclamations élevées contre eux semblent attaquer le gouvernement ; et il lui est souvent très-difficile de soutenir un intendant sans exercer un despotisme tyrannique, ou de le condamner sans introduire une anarchie dangereuse.

Lorsque M. Turgot fut nommé à l’intendance de Limoges, M. de Voltaire lui manda : Un de vos confrères vient de m'écrire qu'un intendant n'est propre qu'à faire du mal ; j'espère que vous prouverez qu’il peut faire beaucoup de bien.

La disposition générale des esprits était alors favorable à ces vues de bienfaisance. La fureur guerrière et religieuse qui, pendant quatorze cents ans, avait tourmenté l’Europe, parut commencer à se calmer vers la fin du siècle dernier ; et une émulation pour le commerce et pour les arts, pour les richesses et pour la gloire de l’esprit, s’empara de toutes les nations. Les peuples en furent plus tranquilles : mais comme on commençait à les compter pour quelque chose, et qu’on daignait même les écouter quelquefois, on s’aperçut qu’ils étaient encore beaucoup trop malheureux. Le temps de fonder leur bonheur sur les maximes invariables d’une politique sage et éclairée n’était pas arrivé ; mais les encouragements pour l’agriculture, et les soins d’humanité pour le peuple, étaient devenus le premier objet de ceux des hommes en place qui avaient quelque vertu ou quelque amour pour la renommée.

M. Turgot profita de ces dispositions pour donner