Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 5.djvu/39

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
27
Vie de M. turgot.

Gournai l’avaient éclairé sur les principes alors très peu connus de l’administration du commerce : et il avait appris, ou plutôt il avait vu que ces prohibitions de marchandises étrangères, ces défenses d’exporter les productions brutes du territoire, qui ont pour prétexte d’encourager l’industrie nationale, ne font qu’en déranger le cours naturel ; que la protection accordée à un genre particulier de commerce nuit au commerce en général ; que tout privilège pour acheter, pour vendre, pour manufacturer, loin d’animer l’industrie, la change en esprit d’intrigue dans les privilégiés, et l’étouffé dans les autres ; que ces règlements, dont l’objet public et avoué est d’empêcher le peuple d’éprouver la disette des denrées nécessaires, de les lui procurer à un moindre prix, enfin, d’assurer la bonté de ces denrées ou celle des ouvrages des manufactures, rendent à la fois l’abondance de ces denrées moindre et plus incertaine, en augmentent le prix, et presque toujours en diminuent la qualité ou la perfection ; qu’en un mot, toutes ces précautions de la timidité et de l’ignorance, toutes ces lois, nées d’un esprit de machiavélisme qui s’est introduit dans la législation du commerce comme dans les entreprises de la politique, produisent des gênes, des vexations, des dépenses réelles, qui les rendraient nuisibles, quand même elles produiraient le bien qu’on en attend, au lieu de produire l’effet opposé.

M. Turgot retira une très-grande utilité de ses conférences avec M. de Gournai ; il se rendit propres toutes les vérités qui étaient le fruit de la longue