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Vie de M. turgot.

qu’une secte existe, tous les individus qui la composent répondent des erreurs et des fautes de chacun d’eux. La nécessité de rester unis oblige de taire ou de dissimuler les vérités qui blesseraient des hommes dont le suffrage ou l’adhésion est utile à la secte. On est obligé de former en quelque sorte un corps de doctrine ; et les opinions qui en font partie, adoptées sans examen, deviennent à la longue de véritables préjugés. L’amitié s’arrête sur les individus ; mais la haine et l’envie qu’excite chacun d’eux, s’étend sur la secte entière. Si cette secte est formée par les hommes les plus éclairés d’une nation, si la défense des vérités les plus importantes au bonheur public est l’objet de son zèle, le mal est plus grand encore. Tout ce qui se propose de vrai et d’utile est rejeté sans examen. Les abus, les erreurs de toute espèce ont pour défenseurs ce ramas d’hommes orgueilleux et médiocres, ennemis acharnés de tout ce qui a de l’éclat et de la célébrité. À peine une vérité paraît-elle, que ceux à qui elle serait nuisible la flétrissent du nom d’une secte déjà odieuse, et sont surs d’empêcher qu’elle ne soit même écoutée. M. Turgot était donc convaincu que le plus grand mal peut-être qu’on puisse faire à la vérité, c’est de forcer ceux qui l’aiment à former une secte, et qu’ils ne peuvent commettre une faute plus funeste que d’avoir la vanité ou la faiblesse de donner dans ce piège.

M. Turgot comptait au nombre de ses amis M. de Gournai, longtemps négociant, et devenu intendant du commerce. L’expérience et les réflexions de M. de