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DISSERTATION SUR CETTE QUESTION

rience a prouvé que ces motifs tant vantés ne font rien de plus. En effet, comment agiraient-ils ? En opposant l’enthousiasme de la peur ou de l’espérance, etc., à celui des passions. Il faudrait donc rendre tous les hommes enthousiastes ; sans cela, tout homme qui deviendrait passionné cesserait d’être arrêté par ces motifs. Mais vous n’en avez pas besoin dès que vous admettez des hommes enthousiastes. L’erreur seule n’a pas le droit exclusif d’exciter l’enthousiasme.

On sait quel pouvoir la crainte de l’opinion a sur les hommes : dans le cas des duels, elle leur fait braver l’amour de la vie, de leur état, de leur fortune, la crainte de l’enfer ; et son effet est si sûr, que sur mille hommes qui refusent de se battre, il ne s’en rencontre pas un qui ait un autre motif que la peur. La crainte d’être regardé comme un méchant par tous les hommes, crainte inévitable pour le coupable, dans le cas où ils seraient éclairés sur leurs vrais intérêts, la crainte de nos propres remords peut faire le même effet. Cette crainte existe naturellement dans toutes les âmes ; il est aussi impossible à un homme que les préjugés, l’habitude ou éducation n’ont pas dénaturé, de commettre une action qui cause de la douleur à un autre homme, sans éprouver une sensation douloureuse, que de se couper le doigt, sans se faire mal, lorsqu’il n’est point paralytique.

Il suffira donc que l’éducation porte ces motifs jusqu’à l’enthousiasme. L’enthousiasme consisterait alors à se représenter fortement, et à la fois, tous les