Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 5.djvu/367

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
355
s’il est utile aux hommes d’être trompés ?

motifs, plus il y attachera d’importance, plus il sera exposé à se tromper.

Il suit de là, que plus les motifs seront absurdes, plus ils seront dangereux ; et que plus ils approcheront de la vérité, c’est-à-dire, plus il sera difficile d’en découvrir la fausseté, moins ils auront d’inconvénients.

Par exemple, un homme qui croit avoir trouvé la quadrature du cercle est sûrement plus près de déraisonner sur toute autre chose, qu’un homme à qui il sera échappé un paralogisme subtil.

Quelle serait d’ailleurs l’utilité de ces motifs ? Ce ne pourrait être que l’insuffisance des motifs naturels, et il faut l’avouer, l’opinion de cette insuffisance a été si fort enracinée par des sophistes, qui trouvaient leur profit à dégrader les hommes pour les tromper, qu’elle est devenue une des erreurs les plus répandues et les plus funestes. Mais, en même temps, elle est si avilissante pour l’espèce humaine, que tout homme d’un génie élevé et d’une âme pure aurait sans doute de la peine à l’admettre, si l’habitude ne le familiarisait avec tout ce que cette opinion renferme de honteux et de funeste. Examinons-la de sang-froid ; et pour la combattre, tâchons d’oublier un moment combien elle est révoltante.

Il est aisé de voir d’abord qu’en supposant une bonne législation, une bonne constitution politique, les hommes auront dans la conduite de la vie assez des motifs naturels tirés de leur intérêt, pour se bien conduire dans la plupart de leurs actions, à moins qu’ils ne soient égarés par des passions. Or, l’expé-