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DISSERTATION SUR CETTE QUESTION

se trompait pas, elle ne chercherait que les moyens les plus sûrs d’éviter l’oppression ; que ces deux classes doivent alors, quoique placées dans le même pays, être regardées comme deux nations ; qu’ainsi, il reste toujours vrai que le plus grand bien de chaque corps d’hommes, comme de chaque individu, est de connaître la vérité, et qu’aucune erreur ne lui serait utile. Mais est-il vrai que le plus grand bien de tous résulte de cette combinaison ?

Ce cas se résout, en dernière analyse, à celui de deux hommes, l’un fort et l’autre faible. Le bonheur des deux, considérés collectivement, est d’accord avec la justice, et demande que le fort protège le faible ; mais le plus grand bonheur du plus fort le demande-t-il ?

Nous observerons d’abord qu’en proposant d’examiner en général si la vérité était utile et l’erreur nuisible, sans déterminer aucune espèce de vérité ou d’erreur, nous n’avons pu entendre que des vérités ou des erreurs particulières.

Par exemple, nous avons supposé que l’homme se conduisait toujours d’après son intérêt de passion, de repos, etc. Ici ne pouvons-nous pas admettre, comme prouvée, cette vérité générale, fondée sur l’observation, que, s’il est avantageux pour un être fort d’opprimer un être faible, lorsque cet être faible est condamné à une soumission éternelle, soit par sa constitution physique, soit par son imbécillité, cet avantage n’est pas le même si cet être faible est un être raisonnable, ayant les mêmes idées que l’oppresseur ; car il est clair alors que l’oppresseur tirera