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s’il est utile aux hommes d’être trompés ?

science pourrait faire. Mais alors ce ne sont pas les vérités physiques qui seraient nuisibles, ce serait ou une fausse application des vérités physiques, ou une erreur morale.

Nous nous bornerons donc à considérer les vérités morales et leur influence sur le bonheur des hommes rassemblés en société.

Supposons qu’un homme ait analysé exactement les idées morales complexes, désignées par les mots de sa langue, qu’il connaisse les faits, c’est-à-dire l’influence qu’ont sur les sentiments et la conduite de l’homme les différentes causes physiques ou morales qui agissent sur lui ; que, de cette connaissance des faits, il ait su déduire les règles générales d’après lesquelles il doit se conduire pour être heureux, et celles aussi d’après lesquelles il doit désirer que les autres hommes se conduisent ; il s’ensuivra que cet homme, désirant nécessairement d’être heureux, voudra que les lois de son pays soient combinées de manière à lui procurer le plus grand bonheur possible. Supposons maintenant que tous les hommes d’un pays connaissent ainsi également la vérité : chacun voulant tout ce qui lui sera le plus avantageux, et raisonnant juste, il est clair que le plus grand nombre voudra nécessairement ce qui sera le plus utile au plus grand nombre. Ainsi, la volonté du plus grand nombre sera toujours d’accord avec la raison, c’est-à-dire avec l’utilité générale, ou la force avec la justice et l’intérêt commun ; réunion qui est le véritable motif, le but et la perfection de toute constitution sociale.