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Vous faites grâce à l’abbé de Saint-Pierre : sa mémoire est encore trop récente pour que nous puissions en grossir notre liste. Paradis aux bienfaisants est un mot bien dangereux et bien impie ; il voulait nous réduire à n’être que des officiers de morale et des ministres de vertu. Il voulait que nous eussions des femmes en propre ; sa religion était absolument l’opposé de celle des jésuites, à qui on reprochait d’allonger le credo et de raccourcir le décalogue.

Vous louez la simplicité et la fermeté d’âme de l’abbé Terrasson. Est-ce que vous ignorez que c’est surtout dans l’incrédulité qu’il fut simple et ferme ? C’est lui qui proposa à Law de rembourser la religion catholique en billets de banque ; et Law répondit que les prêtres n’étaient pas si sots, qu’ils voulaient de l’argent comptant. C’est lui qui, en parlant de l’Abrégé de l’Ancien Testament par Mesangui, disait : « Voilà un excellent ouvrage ; le scandale du texte y est conservé dans toute sa pureté. » Un jour qu’on lui parlait des grandes questions de l’éternité du monde, de la création : « Je n’entends rien à tout cela, » répondit-il ; « je me suis fait une philosophie moyenne : il n’y a point de Dieu, et je m’en passe. » Enfin, lorsqu’on voulut le confesser à l’heure de la mort : « Je n’ai plus de mémoire, » dit-il ; « demandez à ma gouvernante ; elle sait tout ce que j’ai fait. »

Mais j’ai à vous faire un reproche encore plus grave que cette partialité. Dans plusieurs endroits de votre ouvrage, vous paraissez ne regarder la religion que comme une affaire de politique. Ainsi, toute religion dominante aurait le droit d’opprimer ceux d’une