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VIE DE VOLTAIRE.

C’est ainsi qu’indigné de voir un ministère corrompu poursuivre la mort du malheureux Bing, pour couvrir ses propres fautes, et flatter l’orgueil de la populace anglaise, il employa, pour sauver cette innocente victime du machiavélisme de Pitt, tous les moyens que le génie de la pitié put lui inspirer, et seul éleva sa voix contre l’injustice, tandis que l’Europe étonnée contemplait, en silence, cet exemple d’atrocité antique que l'Angleterre osait donner dans un siècle d’humanité et de lumières.

Le premier ouvrage qui sortit de sa retraite, fut la tragédie de l'Orphelin de la Chine, composée pendant son séjour en Alsace, lorsque, espérant pouvoir vivre à Paris, il voulait qu’un succès au théâtre rassurât ses amis et forçât ses ennemis au silence.

Dans les commencements de l’art tragique, les poètes étaient assurés de frapper les esprits en donnant à leurs personnages des sentiments contraires à ceux de la nature, en sacrifiant ces sentiments que chaque homme porte au fond du cœur, aux passions plus rares de la gloire, du patriotisme exagéré, du dévouement à ses princes.

Comme alors la raison est encore moins formée que le goût, l’opinion commune seconde ceux qui emploient ces moyens, ou est entraînée par eux. Léontine dut inspirer de l’admiration, et la hauteur de son caractère lui faire pardonner le sacrifice de son fils, par un parterre idolâtre de son prince. Mais quand ces moyens de produire des effets, en s’écartant de la nature, commencent à s’épuiser ; quand l'art se perfectionne, alors il est forcé de se rappro-