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VIE DE VOLTAIRE.


ter Voltaire, et de ne le relâcher que lorsqu’il aurait rendu sa croix, sa clef, le brevet de pension, et les vers que Freitag appelait l'Œuvre de poeshies du roi son maître. Malheureusement ces volumes étaient restés à Leipsick, Voltaire fut étroitement gardé pendant trois semaines ; madame Denis, sa nièce, qui était venue au-devant de lui, fut traitée avec la même rigueur. Des gardes veillaient à leur porte. Un satellite de Freitag restait dans la chambre de chacun d’eux, et ne les perdait pas de vue ; tant on craignait que l'Œuvre de poeshies ne pût s’échapper ! Enfin, on remit entre les mains de Freitag ce précieux dépôt, et Voltaire fut libre, après avoir été cependant forcé de donner de l’argent à quelques aventuriers, qui profitèrent de l’occasion pour lui faire des petits procès. Échappé de Francfort, il vint à Colmar.

Le roi de Prusse, honteux de sa ridicule colère, désavoua Freitag ; mais il eut assez de morale pour ne pas le punir d’avoir obéi. Il est étrange qu’une ville qui se dit libre, laisse une puissance étrangère exercer de telles vexations au milieu de ses murs ; mais la liberté et l’indépendance ne sont jamais pour le faible qu’un vain nom. Frédéric, dans le temps de sa passion pour Voltaire, lui baisait souvent les mains, dans le transport de son enthousiasme ; et Voltaire, comparant, après sa sortie de Francfort, ces deux époques de sa vie, répétait à ses amis : il a cent fois baisé cette main qu'il vient d’enchaîner.

Il n’avait publié à Berlin que le Siècle de Louis XIV, la seule histoire de ce règne que l’on puisse lire. C’est sur le témoignage des anciens courtisans de