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VIE DE VOLTAIRE.


répondu un jour au général Manstein, qui le pressait de revoir ses mémoires : Le roi m'envoie son linge sale à blanchir ; il faut que le vôtre attende. Qu’une autre fois, en montrant sur la table un paquet de vers du roi, il avait dit, dans un mouvement d’humeur : Cet homme-là, c’est César et l’abbé Cotin.

Cependant, un penchant naturel rapprochait le monarque et le philosophe. Frédéric disait, longtemps après leur séparation, que jamais il n’avait vu d’homme aussi aimable que Voltaire ; et Voltaire, malgré un ressentiment qui jamais ne s’éteignit absolument, avouait que quand Frédéric le voulait, il était le plus aimable des hommes. Ils étaient encore rapprochés par un mépris ouvert pour les préjugés et les superstitions, par le plaisir qu’ils prenaient à en faire l’objet éternel de leurs plaisanteries, par un goût commun pour une philosophie gaie et piquante, par une égale disposition à chercher, à saisir, dans les objets graves, le côté qui prête au ridicule. Il paraissait que le calme devait succéder à de petits orages, et que l’intérêt commun de leur plaisir devait toujours finir par les rapprocher. La jalousie de Maupertuis parvint à les désunir sans retour.

Maupertuis, homme de beaucoup d’esprit, savant médiocre et philosophe plus médiocre encore, était tourmenté de ce désir de la célébrité qui fait choisir les petits moyens lorsque les grands nous manquent, dire des choses bizarres quand on n’en trouve point de piquantes qui soient vraies, généraliser des