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VIE DE VOLTAIRE.


ses faiblesses. Elle aimait Cicéron ; et c’était pour le venger des outrages de Crébillon qu’elle excita Voltaire à faire Rome sauvée. Il avait envoyé Mahomet au pape ; il dédia Sémiramis à un cardinal. Il se faisait un plaisir malin de montrer aux fanatiques français que des princes de l’Église savaient allier l’estime pour le talent au zèle de la religion, et ne croyaient pas servir le christianisme en traitant comme ses ennemis les hommes dont le génie exerçait sur l’opinion publique un empire redoutable.

Ce fut à cette époque qu’il consentit enfin à céder aux instances du roi de Prusse, et qu’il accepta le titre de chambellan, la grande croix de l’ordre du Mérite, et une pension de vingt mille livres. Il se voyait, dans sa patrie, l’objet de l’envie et de la haine des gens de lettres, sans leur avoir jamais disputé ni places, ni pension ; sans les avoir humiliés par des critiques ; sans s’être jamais mêlé d’aucune intrigue littéraire ; après avoir obligé tous ceux qui avaient eu besoin de lui, cherché à se concilier les autres par des éloges, et saisi toutes les occasions de gagner l’amitié de ceux que l’amour-propre avait rendus injustes.

Les dévots qui se souvenaient des Lettres philosophiques et de Mahomet, en attendant les occasions de le persécuter, cherchaient à décrier ses ouvrages et sa personne, employaient contre lui leur ascendant sur la première jeunesse, et celui que, comme directeurs, ils conservaient encore dans les familles bourgeoises et chez les dévotes de la cour. Un silence absolu pouvait seul le mettre à l’abri de la persécu-