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VIE DE VOLTAIRE.


honteuse de l’avoir aimé, et sentant le poids de sa chaîne comme celui de son crime. Si l’on compare cette pièce aux autres tragédies de Voltaire, on la trouvera sans doute bien inférieure à ses chefs d’œuvre ; mais si on la compare à Sophocle qu’il voulait imiter, dont il voulait faire connaître aux Français le caractère et la manière de concevoir la tragédie, on verra qu’il a su en conserver les beautés, en imiter le style, en corriger les défauts, rendre Clytemnestre plus touchante, et Electre moins barbare. Aussi quand, malgré les cabales, ces beautés de tous les temps, transportées sur notre scène par un homme digne de servir d’interprète au plus éloquent des poètes grecs, forcèrent les applaudissements, Voltaire, plus occupé des intérêts du goût que de sa propre gloire, ne put s’empêcher de crier au parterre, dans un mouvement d’enthousiasme : Courage, Athéniens, c’est du Sophocle !

La Sémiramis de Crébillon avait été oubliée dès sa naissance. Celle de Voltaire est le même sujet que quinze ans auparavant il avait traité sous le nom d’Ériphyle, et qu’il avait retiré du théâtre, quoique la pièce eût été fort applaudie ; il avait mieux senti aux représentations toutes les difficultés de ce sujet ; il avait vu que, pour rendre intéressante une femme qui avait fait périr son mari dans la vue de régner à sa place, il fallait que l’éclat de son règne, ses conquêtes, ses vertus, l’étendue de son empire, forçassent au respect, et s’emparassent de l’âme des spectateurs ; que la femme criminelle fût la maîtresse du monde, et eût les vertus d’un grand roi. Il sentit