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VIE DE VOLTAIRE.

de, et la plupart des gens de lettres, lui préférer Crébillon, moins par sentiment que pour le punir de l’universalité de ses talents ; car on est toujours plus indulgent pour les talents bornés à un seul genre, qui, paraissant une espèce d’instinct, et laissant en repos plus d’espèces d’amour-propre, humilient moins l’orgueil.

Cette opinion de la supériorité de Crébillon était soutenue avec tant de passion, que depuis, dans le discours préliminaire de l'Encyclopédie M. d’Alembert eut besoin de courage pour accorder l’égalité à l’auteur d'Alzire et de Mérope, et n’osa porter plus loin la justice. Enfin Voltaire voulut se venger, et forcer le public à le mettre à sa véritable place, en donnant Sémiramis, Oreste et Rome sauvée, trois sujets que Crébillon avait traités. Toutes les cabales animées contre Voltaire s’étaient réunies pour faire obtenir un succès éphémère au Catilina de son rival, pièce dont la conduite est absurde et le style barbare, où Cicéron propose d’employer sa fille pour séduire Catilina, où un grand prêtre donne aux amants des rendez-vous dans un temple, y introduit une courtisane en habit d’homme, et traite ensuite le sénat d’impie, parce qu’il y discute des affaires de la république.

Rome sauvée, au contraire, est un chef-d’œuvre de style et de raison : Cicéron s’y montre avec toute sa dignité et toute son éloquence ; César y parle, y agit comme un homme fait pour soumettre Rome, accabler ses ennemis de sa gloire, et se faire pardonner la tyrannie à force de talents et de vertus ; Cati-