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VIE DE VOLTAIRE.

heureux que parce qu’on avait voulu qu’il fût roi, n’était pas ébloui d’un titre dont il n’avait éprouvé que les dangers. Il avait désiré d’avoir à sa cour, ou plutôt chez lui, madame du Châtelet et Voltaire. L’auteur des Saisons, le seul poète français qui ait réuni, comme Voltaire, l’âme et l’esprit d’un philosophe, vivait alors à Lunéville, où il n’était connu que comme un jeune militaire aimable ; mais ses premiers vers, pleins de raison, d’esprit et de goût, annonçaient déjà un homme fait pour honorer son siècle.

Voltaire menait à Lunéville une vie occupée, douce et tranquille, lorsqu’il eut le malheur d’y perdre son amie. Madame du Châtelet mourut au moment où elle venait de terminer sa traduction de Newton, dont le travail forcé abrégea ses jours. Le roi vint consoler Voltaire dans sa chambre, et pleurer avec lui. Revenu à Paris, il se livra au travail ; moyen de dissiper la douleur, que la nature a donné à très-peu d’hommes. Ce pouvoir sur nos propres idées, cette force de tête que les peines de l’âme ne peuvent détruire, sont des dons précieux qu’il ne faut point calomnier en les confondant avec l’insensibilité. La sensibilité n’est point de la faiblesse ; elle consiste à sentir les peines, et non à s’en laisser accabler. On n’en a pas moins une âme sensible et tendre, la douleur n’en a pas été moins vive parce qu’on a eu le courage de la combattre, et que des qualités extraordinaires ont donné la force de la vaincre.

Voltaire se lassait d’entendre tous les gens du mon-