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VIE DE VOLTAIRE.


des honneurs qu’on lui refusait. Voltaire avait rendu constamment justice à l’auteur de Rhadamisthe ; mais il ne pouvait avoir l’humilité de le croire supérieur à celui d’Alzire, de Mahomet et de Mérope. Il ne vit dans cet enthousiasme exagéré pour Crébillon qu’un désir secret de l’humilier ; et il ne se trompait pas.

Le poëte, le bel esprit aurait pu conserver des amis puissants ; mais ces titres cachaient dans Voltaire un philosophe, un homme plus occupé encore des progrès de la raison que de sa gloire personnelle.

Son caractère, naturellement fier et indépendant, se prêtait à des adulations ingénieuses ; il prodiguait la louange, mais il conservait ses sentiments, ses opinions, et la liberté de les montrer. Des leçons fortes ou touchantes sortaient du sein des éloges ; et cette manière de louer, qui pouvait réussir à la cour de Frédéric, devait blesser dans toute autre.

Il retourna donc encore à Cirey, et bientôt après à la cour de Stanislas. Ce prince, deux fois élu roi de Pologne, l’une par la volonté de Charles XII, l’autre par le vœu de la nation, n’en avait jamais possédé que le titre. Retiré en Lorraine, où il n’avait encore que le nom de souverain, il réparait, par ses bienfaits, le mal que l’administration française faisait à cette province, ou le gouvernement paternel de Léopold avait réparé un siècle de dévastations et de malheurs. Sa dévotion ne lui avait ôté ni le goût des plaisirs, ni celui des gens d’esprit. Sa maison était celle d’un particulier très-riche ; son ton, celui d’un homme simple et franc, qui, n’ayant jamais été mal-