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VIE DE VOLTAIRE.

Il avait avancé que la nature peut produire au théâtre des effets plus pathétiques et plus déchirants ; et il le prouva dans Mérope.

Cependant, si Despréaux entend, par sûre, la moins difficile, les faits sont en sa faveur. Plusieurs poètes ont fait des tragédies touchantes, fondées sur l’amour ; et Mérope est seule jusqu’ici.

Entraîné par l’intérêt des situations, par une rapidité de dialogue inconnue au théâtre, par le talent d’une actrice qui avait su prendre l’accent vrai et passionné de la nature, le parterre fut agité d’un enthousiasme sans exemple : il força Voltaire, caché dans un coin du spectacle, à venir se montrer aux spectateurs. Il parut dans la loge de la maréchale de Villars ; on cria à la jeune duchesse de Villars d’embrasser l’auteur de Mérope ; elle fut obligée de céder à l’impérieuse volonté du public, ivre d’admiration et de plaisir.

C’est la première fois que le parterre ait demandé l’auteur d’une pièce. Mais ce qui fut alors un hommage rendu au génie, dégénéré depuis en usage, n’est plus qu’une cérémonie ridicule et humiliante, à laquelle les auteurs qui se respectent refusent de se soumettre.

A ce nouveau titre, que la dévotion même était obligée de respecter, se joignait l’appui de madame de Châteauroux, alors gouvernée par le duc de Richelieu, cet homme extraordinaire qui à vingt ans avait été deux fois à la Bastille pour la témérité de ses galanteries ; qui, par l’éclat et le nombre de ses aventures, avait fait naître parmi les femmes une