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VIE DE VOLTAIRE.

naître les anecdotes du règne de Louis XIV, et que Fleury aimait à les conter, s’arrêtant surtout à celles qui pouvaient le regarder, et ne doutant pas que Voltaire ne s’empressât d’en remplir son histoire ; mais la haine naturelle de Fleury et de tous les hommes faibles pour qui s’élève au-dessus des forces communes, l’emporta sur son goût et sur sa vanité.

Fleury avait voulu empêcher les Français de parler, et même de penser, pour les gouverner plus aisément. Il avait, toute sa vie, entretenu dans l’État une guerre d’opinions, par ses soins mêmes, pour empêcher ces opinions de faire du bruit, et de troubler la tranquillité publique. La hardiesse de Voltaire l’effrayait. Il craignait également de compromettre son repos en le défendant, ou sa petite renommée en l’abandonnant avec trop de lâcheté ; et Voltaire trouva dans lui, moins un protecteur qu’un persécuteur caché, mais contenu par son respect pour l’opinion et l’intérêt de sa propre gloire.

Voltaire fut désigné pour lui succéder dans l’Académie française. Il venait d’y acquérir de nouveaux droits qui auraient imposé silence à l’envie, si elle pouvait avoir quelque pudeur ; il venait d’enrichir la scène d’un nouveau chef-d’œuvre, de Mérope, jusqu’ici la seule tragédie où des larmes abondantes et douces ne coulent point sur les malheurs de l’amour. L’auteur de Zaïre avait déjà combattu cette maxime de Despréaux :

De cette passion la sensible peinture
Est pour aller au cœur la route la plus sûre.