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VIE DE VOLTAIRE.

Enfin le journaliste publia la Voltairomanie. Ce fut alors que Voltaire, qui depuis longtemps souffrait en silence les calomnies de Desfontaines et de Rousseau, s’abandonna aux mouvements d’une colère dont ces vils ennemis n’étaient pas dignes.

Non content de se venger en livrant ses adversaires au mépris public, en les marquant de ces traits que le temps n’efface point, il poursuivit Desfontaines, qui en fut quitte pour désavouer le libelle, et se mit à en faire d’autres pour se consoler. C’est donc à quarante-quatre ans, après vingt années de patience, que Voltaire sortit, pour la première fois, de cette modération dont il serait à désirer que les gens de lettres ne s’écartassent jamais. S’ils ont reçu de la nature le talent si redoutable de dévouer leurs ennemis au ridicule et à la honte, qu’ils dédaignent d’employer cette arme dangereuse à venger leurs propres querelles, et qu’ils la réservent contre les persécuteurs de la vérité et les ennemis des droits des hommes !

La liaison qui se forma, vers le même temps, entre Voltaire et le prince royal de Prusse, était une des premières causes des emportements où ses ennemis se livrèrent alors contre lui. Le jeune Frédéric n’avait reçu de son père que l’éducation d’un soldat ; mais la nature le destinait à être un homme d’un esprit aimable, étendu et élevé, aussi bien qu’un grand général. Il était relégué à Rémusberg par son père, qui, ayant formé le projet de lui faire couper la tête, en qualité de déserteur, parce qu’il avait voulu voyager sans sa permission, avait cédé aux