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NOTES


en faire un poëme épique, sans y lien changer ; qu’il ne faut pas avoir plus de scrupule dans le poëme que dans la tragédie, où l’on pousse beaucoup plus loin la liberté de ces changements ; car si l’on était trop servilement attaché à l’histoire, on tomberait dans le défaut de Lucain, qui a fait une gazette en vers, au lieu d’un poème épique. A la vérité, il serait ridicule de transporter des événements principaux et dépendant les uns des autres, déplacer la bataille d’Ivry avant la bataille de Coutras, et la Saint-Barthélemi avec les Barricades. Mais l’on peut bien faire passer secrètement Henri IV en Angleterre, sans que ce voyage, qu’on suppose ignoré des Parisiens mêmes, change en rien la suite des événements historiques. Les mêmes lecteurs, qui sont choqués qu’on lui fasse faire un trajet de mer, de quelques lieues, ne seraient point étonnés qu’on le fit aller en Guyenne, qui est quatre fois plus éloignée. Que si Virgile a fait venir en Italie. Enée, qui n’y alla jamais ; s’il l’a rendu amoureux de Didon, qui vivait trois cents ans après lui, on peut, sans scrupule, faire rencontrer ensemble Henri IV et la reine Elisabeth, qui s’estimaient l’un l’autre, et eurent toujours un grand désir de se voir. Virgile, dira-t-on, parlait d’un temps très-éloigné, il est vrai ; mais ces événements, tout reculés qu’ils étaient dans l'antiquité, étaient fort connus. L’Iliade et l’histoire de Cartilage étaient aussi familières aux Romains, que nous le sont les histoires les plus récentes : il est aussi permis à un poète français de tromper le lecteur de quelques lieues, qu’à Virgile de le tromper de trois cents ans. Enfin ce mélange de l’histoire et