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VIE DE VOLTAIRE.

toire de Charles XII, prépara le Siècle de Louis XIV, et rassembla des matériaux pour son Essai sur les mœurs et l'esprit des Nations, depuis Charlemagne jusqu’à nos jours.

Alzire et Mahomet sont des monuments immortels de la hauteur à laquelle la réunion du génie de la poésie à l’esprit philosophique peut élever l’art de la tragédie. Cet art ne se borne point, dans ces pièces, à effrayer par le tableau des passions, à les réveiller dans les âmes, à faire couler les douces larmes de la pitié ou de l’amour ; il y devient celui d’éclairer les hommes, et de les porter à la vertu. Ces citoyens oisifs, qui vont porter au théâtre le triste embarras de finir une inutile journée, y sont appelés à discuter les plus grands intérêts du genre humain. On voit, dans Alzire, les vertus nobles, mais sauvages et impétueuses de l’homme de la nature, combattre les vices de la société corrompue par le fanatisme et l’ambition, et céder à la vertu perfectionnée par la raison, dans l’âme d'Alvarès ou de Gasman, mourant et désabusé. On y voit à la fois comment la société corrompt l’homme en mettant des préjugés à la place de l’ignorance, et comment elle le perfectionne dès que la vérité prend celle des erreurs. Mais le plus funeste des préjugés est le fanatisme ; et Voltaire voulut immoler ce monstre sur la scène, et employer, pour l’arracher des âmes, ces effets terribles que l’art du théâtre peut seul produire.

Sans doute il était aisé de rendre un fanatique odieux : mais que ce fanatique soit un grand homme ; qu’en l’abhorrant on ne puisse s’empêcher de l'ad-