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VIE DE VOLTAIRE.


dans son cœur, que son génie répandit dans ses ouvrages, et qui fut le germe heureux de ce zèle ardent pour le bonheur des hommes, noble et dernière passion de sa vieillesse. Il lui restait M. d’Argental, dont la longue vie n’a été qu’un sentiment de tendresse et d’admiration pour Voltaire, et qui en fut récompensé par son amitié et sa confiance ; il lui restait MM. de Formont et de Cideville, qui étaient les confidents de ses ouvrages et de ses projets.

Mais, vers le temps de ces persécutions, une autre amitié vint lui offrir des consolations plus douces, et augmenter son amour pour la retraite. C’était celle de la marquise du Châtelet, passionnée, comme lui, pour l’étude et pour la gloire ; philosophe, mais de cette philosophie qui prend sa source dans une âme forte et libre ; ayant approfondi la métaphysique et la géométrie, assez pour analyser Leibnitz et pour traduire Newton ; cultivant les arts, mais sachant les juger, et leur préférer la connaissance de la nature et des hommes ; n’aimant, de l’histoire, que les grands résultats qui portent la lumière sur les secrets de la nature humaine ; supérieure à tous les préjugés par la force de son caractère, comme par celle de sa raison ; n’ayant pas la faiblesse de cacher combien elle les dédaignait ; se livrant aux frivolités de son sexe, de son état et de son âge, mais les méprisant et les abandonnant, sans regret, pour la retraite, le travail et l’amitié ; excitant enfin, par sa supériorité, la jalousie des femmes, et même de la plupart des hommes avec lesquels son rang l’obligeait de vivre, et leur pardonnant sans effort. Telle était l’amie que choisit