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VIE DE VOLTAIRE.

ces, ni de négocier avec des libraires, renonça au séjour de la capitale. Jusqu’au ministère du cardinal de Fleury, et jusqu’à son voyage en Angleterre, il avait vécu dans le plus grand monde. Les princes, les grands, ceux qui étaient à la tête des affaires, les gens à la mode, les femmes les plus brillantes, étaient recherchés par lui et le recherchaient. Partout il plaisait, il était fêté ; mais partout il inspirait l’envie et la crainte. Supérieur par ses talents, il l’était encore par l’esprit qu’il montrait dans la conversation ; il y portait tout ce qui rend aimables les gens d’un esprit frivole, et y mêlait les traits d’un esprit supérieur. Né avec le talent de la plaisanterie, ses mots étaient souvent répétés, et c’en était assez pour qu’on donnât le nom de méchanceté à ce qui n’était que l’expression vraie de son jugement, rendue piquante par la tournure naturelle de son esprit.

A son retour d’Angleterre, il sentit que, dans les sociétés où l’amour-propre et la vanité rassemblent les hommes, il trouverait peu d’amis ; et il cessa de s’y répandre, sans cependant rompre avec elles. Le goût qu’il y avait pris pour la magnificence, pour la grandeur, pour tout ce qui est brillant et recherché, était devenu une habitude ; il le conserva même dans la retraite : ce goût embellit souvent ses ouvrages ; il influa quelquefois sur ses jugements. Rendu à sa patrie, il se réduisit à ne vivre habituellement qu’avec un petit nombre d’amis. Il avait perdu M. de Genonville et M. de Maisons, dont il a pleuré la mort dans des vers si touchants, monuments de cette sensibilité vraie et profonde que la nature avait mise