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VIE DE VOLTAIRE.


ainsi, à l’avantage d’avoir une fortune qui assurait son indépendance, il joignit celui de ne la devoir qu’à lui-même. L’usage qu’il en fit aurait dû la lui faire pardonner.

Des secours à des gens de lettres, des encouragements à des jeunes gens en qui il croyait apercevoir le germe du talent, en absorbaient une grande partie. C’est surtout à cet usage qu’il destinait le faible profit qu’il tirait de ses ouvrages ou de ses pièces de théâtre, lorsqu’il ne les abandonnait pas aux comédiens. Jamais auteur ne fut plus cruellement accusé d’avoir eu des torts avec ses libraires ; mais ils avaient à leurs ordres toute la canaille littéraire, avide de calomnier la conduite de l’homme dont ils savaient trop qu’ils ne pouvaient étouffer les ouvrages. L’orgueilleuse médiocrité, quelques hommes de mérite blessés d’une supériorité trop incontestable, les gens du monde toujours empressés d’avilir des talents et des lumières objets secrets de leur envie, les dévots intéressés à décrier Voltaire pour avoir moins à le craindre ; tous s’empressaient d’accueillir les calomnies des libraires et des Zoïles. Mais les preuves de la fausseté de ces imputations subsistent encore avec celles des bienfaits dont Voltaire a comblé quelques-uns de ses calomniateurs ; et nous n’avons pu les voir sans gémir, et sur le malheur du génie condamné à la calomnie, triste compensation de la gloire, et sur cette honteuse facilité à croire tout ce qui peut dispenser d’admirer.

Voltaire n’ayant donc besoin, pour sa fortune, ni de cultiver des protecteurs, ni de solliciter des pla-