Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 4.djvu/45

Cette page n’a pas encore été corrigée
31
VIE DE VOLTAIRE.

Cet ouvrage fut, parmi nous, l’époque d’une révolution : il commença à y faire naître le goût de la philosophie et de la littérature anglaise ; à nous intéresser aux mœurs, à la politique, aux connaissances commerciales de ce peuple ; à répandre sa langue parmi nous. Depuis, un engouement puéril a pris la place de l’ancienne indifférence ; et, par une singularité remarquable. Voltaire a eu encore la gloire de le combattre et d’en diminuer l’influence.

Il nous avait appris à sentir le mérite de Shakspeare, et à regarder son théâtre comme une mine d’où nos poètes pourraient tirer des trésors ; et lorsqu’un ridicule enthousiasme a présenté comme un modèle à la nation de Racine et de Voltaire ce poète éloquent, mais sauvage et bizarre, et a voulu nous donner, pour des tableaux énergiques et vrais de la nature, ses toiles chargées de compositions absurdes et de caricatures dégoûtantes et grossières, Voltaire a défendu la cause du goût et de la raison. Il nous avait reproché la trop grande timidité de notre théâtre ; il fut obligé de nous reprocher d’y vouloir porter la licence barbare du théâtre anglais.

La publication de ces lettres excita une persécution dont, en les lisant aujourd’hui, on aurait peine à concevoir l’acharnement : mais il y combattait les idées innées ; et les docteurs croyaient alors que, s’ils n’avaient point d’idées innées, il n’y aurait pas de caractères assez sensibles pour distinguer leur âme de celle des bêtes. D’ailleurs, il soutenait avec Locke qu’il n’était pas rigoureusement prouvé que Dieu n’aurait pas le pouvoir, s’il le voulait absolument,