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VIE DE VOLTAIRE.


serait tenté de croire que l'homme est intolérant par sa nature. L’esprit, le génie, la raison, ne garantissent pas toujours de ce malheur. Il est bien peu d’hommes qui n’aient pas en secret quelques idoles dont ils ne voient point de sang-froid qu’on ose affaiblir ou détruire le culte.

Dans le grand nombre, ce sentiment a pour origine l’orgueil et l’envie. On remarque, comme affectant sur nous une supériorité qui nous blesse, l’écrivain qui, en critiquant ceux que nous admirons, a l’air de se croire supérieur à eux, et dès lors à nous-mêmes. On craint qu’en abattant la statue de l’homme qui n’est plus, il ne prétende élever à sa place celle d’un homme vivant, dont la gloire est toujours un spectacle affligeant pour la médiocrité. Mais si des esprits supérieurs s’abandonnent à cette espèce d’intolérance, cette faiblesse excusable et passagère, née de la paresse et de l’habitude, cède bientôt à la vérité, et ne produit ni l'injustice, ni la persécution.

Dans sa retraite, Voltaire avait conçu l’heureux projet de faire connaître à sa nation la philosophie, la littérature, les opinions, les sectes de l’Angleterre ; et il fit ses Lettres sur les Anglais [1]. Newton, dont on ne connaissait en France ni les opinions philosophiques, ni le système du monde, ni presque même les expériences sur la lumière ; Locke, dont le livre traduit en français n’avait été lu que par un peut nombre de philosophes ; Bacon, qui n’était cé-

  1. La matière de ces lettres est répandue, sous d’autres titres, dans les Œuvres, et principalement dans le Dictionnaire philosophique.