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VIE DE VOLTAIRE.


dit à Voltaire qu'il ne le croyait point propre à la tragédie ; que son style était trop fort, trop pompeux, trop brillant. — Je vais donc relire vos pastorales, lui répondit Voltaire.

Il crut alors pouvoir aspirer à une place à l’Académie française, et on pouvait le trouver modeste d’avoir attendu si longtemps ; mais il n’eut pas même l’honneur de balancer les suffrages. Le Gros de Boze prononça d’un ton doctoral que Voltaire ne serait jamais un personnage académique.

Ce de Boze, oublié aujourd’hui, était un de ces hommes qui, avec peu d’esprit et une science médiocre, se glissent dans les maisons des grands et des gens en place, et y réussissent, parce qu’ils ont précisément ce qu’il faut pour satisfaire la vanité d’avoir chez soi des gens de lettres, et que leur esprit ne peut ni inspirer la crainte, ni humilier l’amour-propre. De Boze était d’ailleurs un personnage important : il exerçait alors à Paris l’emploi d’inspecteur de la librairie, que depuis la magistrature a usurpé sur les gens de lettres, à qui l’avidité des hommes riches ou accrédités ne laisse que les places dont les fonctions personnelles exigent des lumières et des talents.

Après Brutus, Voltaire fit la Mort de César, sujet déjà traité par Shakspeare, dont il imita quelques scènes en les embellissant. Cette tragédie ne fut jouée qu’au bout de quelques années, et dans un collège. Il n’osait risquer sur le théâtre une pièce sans amour, sans femmes, et une tragédie en trois actes ; car les innovations peu importantes ne sont