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SUR VOLTAIRE.


à leur esprit, engourdis par la nature de leur climat et de leur sol. On voit qu’il ne s’agit ici que d’amitié pure. C’est ainsi que, lorsqu’un prince chrétien faisait publier un tournoi où chacun devait paraître avec les couleurs de sa dame, il avait l’intention louable d’exciter l’émulation de ses chevaliers et d’adoucir leurs mœurs ; ce n’était point l’adultère, mais seulement la galanterie qu’il voulait encourager dans ses États. Dans Athènes, suivant Platon, on devait se borner à la tolérance. Dans les États monarchiques, il était utile d’empêcher ces liaisons entre les hommes ; mais elles étaient dans les républiques un obstacle à l’établissement durable de la tyrannie. Un tyran, en immolant un citoyen, ne pouvait savoir quels vengeurs il allait armer contre lui ; il était exposé sans cesse à voir dégénérer en conspirations les associations que cet amour formait entre les hommes.

Cependant, malgré ces idées, si éloignées de nos opinions et de nos mœurs, ce vice était regardé chez les Grecs comme une débauche honteuse, toutes les fois qu’il se montrait à découvert, et sans l’excuse de l’amitié ou de liaisons politiques. Lorsque Philippe vit sur le champ de bataille de Chéronée, tous les soldats qui composaient le bataillon sacré, le bataillon des amis à Thèbes, tués dans le rang où ils avaient combattu : Je ne croirai jamais, s’écria-t-il, que de si braves gens aient pu faire ou souffrir rien de honteux. Ce mot d’un homme souillé lui-même de cette infamie, est une preuve certaine de l’opinion générale des Grecs.

A Rome, cette opinion était plus forte encore :