Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 4.djvu/35

Cette page n’a pas encore été corrigée
21
VIE DE VOLTAIRE.


sachant tantôt céder aux temps, tantôt en profiter ou les faire naître ; en se servant tour à tour, avec adresse, du raisonnement, de la plaisanterie, du charme des vers ou des effets du théâtre ; en rendant enfin la raison assez simple pour devenir populaire, assez aimable pour ne pas effrayer la frivolité, assez piquante pour être à la mode. Ce grand projet de se rendre, par les seules forces de son génie, le bienfaiteur de tout un peuple en l’arrachant à ses erreurs, enflamma l'àme de Voltaire, échauffa son courage. Il jura d’y consacrer sa vie, et il a tenu parole.

La tragédie de Brutus fut le premier fruit de son voyage en Angleterre.

Depuis Cinna, notre théâtre n’avait point retenti des fiers accents de la liberté ; et, dans Cinna, ils étaient étouffés par ceux de la vengeance. On trouva dans Brutus la force de Corneille avec plus de pompe et d’éclat, avec un naturel que Corneille n’avait pas, et l’élégance soutenue de Racine. Jamais les droits d’un peuple opprimé n’avaient été exposés avec plus de force, d’éloquence, de précision même, que dans la seconde scène de Brutus. Le cinquième acte est un chef-d’œuvre de pathétique.

On a reproché au poëte d’avoir introduit l’amour dans ce sujet si imposant et si terrible, et surtout un amour sans un grand intérêt ; mais Titus, entraîné par un autre motif que l’amour, eût été avili ; la sévérité de Brutus n’eût plus déchiré l’âme des spectateurs ; et si cet amour eût trop intéressé, il était à craindre que leur cœur n’eût trahi la cause de Rome. Ce fut après cette pièce que Fontenelle