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VIE DE VOLTAIRE.


chaient encore à substituer, dans nos écoles, les hypothèses de Descartes aux absurdités de la physique scolastique : une thèse où l’on soutenait, soit le système de Copernic, soit les tourbillons, était une victoire sur les préjugés. Les idées innées étaient devenues presque un article de foi aux yeux des dévots, qui d’abord les avaient prises pour une hérésie. Malebranche, qu’on croyait entendre, était le philosophe à la mode. On passait pour un esprit fort, lorsqu’on se permettait de regarder l’existence des cinq propositions dans le livre illisible de Jansénius, comme un fait indifférent au bonheur de l’espèce humaine, ou qu’on osait lire Bayle sans la permission d’un docteur en théologie.

Ce contraste devait exciter l’enthousiasme d’un homme qui, comme Voltaire, avait dès son enfance secoué tous les préjugés. L’exemple de l’Angleterre lui montrait que la vérité n’est pas faite pour rester un secret entre les mains de quelques philosophes, et d’un petit nombre de gens du monde instruits, ou plutôt endoctrinés par les philosophes ; riant avec eux des erreurs dont le peuple est la victime, mais s’en rendant eux-mêmes les défenseurs lorsque leur état ou leurs places leur y font trouver un intérêt chimérique ou réel, et prêts à laisser proscrire ou même à persécuter leurs précepteurs, s’ils osent dire ce qu’eux-mêmes pensent en secret.

Dès ce moment Voltaire se sentit appelé à détruire les préjugés de toute espèce dont son pays était l’esclave. Il sentit la possibilité d’y réussir par un mélange heureux d’audace et de souplesse, en