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VIE DE VOLTAIRE.


des Romains, et Voltaire eut le motif plus noble de préserver les Français du fanatisme, en leur retraçant les crimes où il avait entraîné leurs ancêtres.

La Henriade, Œdipe et Mariamne avaient placé Voltaire bien au-dessus de ses contemporains, et semblaient lui assurer une carrière brillante, lorsqu’un événement fatal vint troubler sa vie. Il avait répondu par des paroles piquantes au mépris que lui avait témoigné un homme de la cour, qui s’en vengea en le faisant insulter par ses gens, sans compromettre sa sûreté personnelle. Ce fut à la porte de l’hôtel de Sully, où il dînait, qu’il reçut cet outrage, dont le duc de Sully ne daigna témoigner aucun ressentiment, persuadé sans doute que les descendants des Francs ont conservé droit de vie et de mort sur ceux des Gaulois. Les lois furent muettes ; le parlement de Paris, qui a puni ou fait punir de moindres outrages, lorsqu’ils ont eu pour objet quelqu’un de ses subalternes, crut ne rien devoir à un simple citoyen qui n’était que le premier homme de lettres de la nation, et garda le silence.

Voltaire voulut prendre les moyens de venger l’honneur outragé, moyens autorisés par les mœurs des nations modernes, et proscrits par leurs lois ; la Bastille, et au bout de six mois l’ordre de quitter Paris, furent la punition de ses premières démarches. Le cardinal de Fleury n’eut pas même la petite politique de donner à l’agresseur la plus légère marque de mécontentement. Ainsi, lorsque les lois abandonnaient les citoyens, le pouvoir arbitraire les punissait de chercher une vengeance que ce silence rendait