Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 4.djvu/30

Cette page n’a pas encore été corrigée
16
VIE DE VOLTAIRE.

C’est vers la même époque que parut la Henriade sous le nom de la Ligue. Une copie imparfaite, enlevée à l’auteur, fut imprimée furtivement ; et non-seulement il y était resté des lacunes, mais on en avait rempli quelques-unes.

La France eut donc enfin un poëme épique. On peut regretter, sans doute, que Voltaire, qui a mis tant d’action dans ses tragédies, qui y fait parler aux passions un langage si naturel et si vrai, qui a su également les peindre, et par l’analyse des sentiments qu’elles font éprouver, et par les traits qui leur échappent, n’ait point déployé dans la Henriade ces talents que nul homme n’a encore réunis au même degré ; mais un sujet si connu, si près de nous, laissait peu de liberté à l’imagination du poëte. La passion cruelle et sombre du fanatisme, s’exerçant sur les personnages subalternes, ne pouvait exciter que l’horreur. Une ambition hypocrite était la seule qui animât les chefs de la Ligue, Le héros, brave, humain et galant, mais n’éprouvant que les malheurs de la fortune, et les éprouvant seul, ne pouvait intéresser que par sa valeur et sa clémence : enfin, il était impossible que la conversion un peu forcée de Henri IV formât jamais un dénoùment bien héroïque.

Mais si, pour l’intérêt des événements, pour la vérité, pour le mouvement, la Henriade est inférieure aux poèmes épiques qui étaient alors en possession de l’admiration générale, par combien de beautés neuves cette infériorité n’est-elle pas compensée ? Jamais une philosophie si profonde et si vraie a-