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TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE, ETC.

On demande encore pourquoi le clergé, qui jouit d’environ un cinquième des biens de l'État, veut faire la guerre aux dépens du peuple ? S’il trouve certains livres dangereux pour lui, qu’il les fasse réfuter, et qu’il paye un peu plus cher ses écrivains. D’ailleurs, il n’en coûterait pas plus d’un ou deux millions par an pour retirer tous les exemplaires des livres irréligieux qui s’impriment en Europe ; celle dépense ne ferait pas un impôt d’un cinquantième sur les biens ecclésiastiques : aucune nation ne fait la guerre à si bon marché.

On a dit dans quelques brochures que les libres penseurs étaient intolérants ; ce qui est absurde, puisque liberté de penser et tolérance sont synonymes. La preuve en était plaisante ; c’est qu’ils se moquaient, disait-on, de leurs adversaires, et qu’ils se plaignaient des prérogatives odieuses ou nuisibles usurpées par le clergé. Il n’y a point d’intolérance à tourner en ridicule de mauvais raisonneurs. Si ces mauvais raisonneurs étaient tolérants et honnêtes, cela serait dur ; s’ils sont insolents et persécuteurs, c’est un acte de justice, c’est un service rendu au genre humain. Mais ce n’est jamais intolérance : se moquer d’un homme, ou le persécuter, sont deux choses bien distinctes.

Si les prérogatives qu’on attaque sont mal fondées, celui qui s’élève contre elles ne fait que réclamer des droits usurpés sur lui. Est-ce donc être intolérant que de faire un procès à celui qui a usurpé nos biens ? Le procès peut être injuste ; mais il n’y a point là d’intolérance.