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TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE, ETC.

autre genre, comme les fondements de ses opinions sont appuyés sur des principes d’une autre nature, le devoir d’être tolérant est fondé pour lui sur d’autres motifs. S’il regarde comme des insensés les sectateurs des différentes religions, se croira-t-il en droit de traiter comme un crime une folie qui ne trouble pas l’ordre de la société, de priver de leurs droits des hommes que l’espèce de démence dont ils sont atteints ne met pas hors d’état de les exercer ? Peut-il ne pas les supposer de bonne foi ? car l’existence même des fourbes qui professent une croyance qu’ils n’ont pas, suppose celle des dupes aux dépens de qui ces fourbes vivent et s’enrichissent. Il faudrait qu’il y eût un moyen de prouver juridiquement que tel homme qui professe une opinion absurde, ne la croit pas ; et l’on sent que ce moyen ne peut exister. L’idée même qu’une telle opinion particulière peut être dangereuse par ses conséquences, n’autoriserait pas une loi d’intolérance. Une opinion qui prescrirait directement la sédition ou l’assassinat comme un devoir, pourrait seule être traitée comme un délit ; mais dans ce cas, ce n’est plus d’intolérance religieuse qu’il s’agit, mais de l’ordre et du repos de la société.

Si maintenant nous considérons la justice et le maintien des droits des hommes, nous trouverons que la liberté des opinions, celle de les professer publiquement, et de s’y conformer dans sa conduite, en tout ce qui ne donne point atteinte aux droits d’un autre homme, est un droit aussi réel que la liberté personnelle ou la propriété des biens. Ainsi, toute limitation apportée à l’exercice de ce droit est